Le dégriffage au Québec en 2018

Source : Le Devoir, Annabelle Caillou

 

Il sera interdit de faire dégriffer son chat à compter du 15 mars 2018 en Nouvelle-Écosse, une intervention désormais jugée contraire à l’éthique de la profession lorsqu’elle n’est pas médicalement nécessaire. Au Québec, ce n’est pourtant pas demain la veille que les vétérinaires cesseront de la pratiquer.

 

« C’est sûr que c’est une chirurgie optionnelle, non médicalement requise et que ça devrait se faire le moins possible, mais l’interdire ? On n’est pas encore là », laisse tomber la Dre Caroline Kilsdonk, présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ).

 

 La Nouvelle-Écosse est la première province au Canada à se positionner aussi fermement contre cette procédure — et même le premier État en Amérique du Nord. Les États de New York et de New Jersey étudient des projets de loi en ce sens. Seules quelques municipalités avaient auparavant adopté un tel règlement sur le continent.

 

Pourtant, plusieurs pays d’Europe et l’Australie ont déjà abandonné cette chirurgie depuis des années. Elle est même passible d’un an de prison en Israël.

 

Le Québec n’est pas prêt

Pour l’OMVQ, la société québécoise n’est pas prête à suivre le pas. Excédés de voir leurs meubles partir en ruine et inquiets à l’idée que leur enfant reçoive un coup de griffe, les Québécois sont encore nombreux à demander le degriffage de leur félin.

 

«Avant d’en venir à l’interdire, il faut être convaincu qu’aucun chat dont la qualité de vie ou la survie dépend de cette chirurgie [ne sera affecté] et que la population est prête à ça.», indique la Dre Kilsdonk.

 

Elle craint surtout de voir le taux d’adoption diminuer, ce qui engorgerait d’autant plus les refuges qui débordent déjà.

 

Un argument qui fait sourciller Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, spécialisé en droit animal. «On va contribuer à accepter un traitement porteur de souffrances pour les chats sur la base d’une crainte appréhendée qui n’est peut-être même pas fondée», s’offusque-t-il. Aucune étude, à sa connaissance, ne montre que davantage de chats sont abandonnés dans les endroits où l’interdiction est en vigueur.

 

«Est-ce que des considérations économiques sont en cause? s’interroge-t-il. C’est payant comme chirurgie, et ceux qui l’ont abandonnée reconnaissent en payer le prix.»

 

Source de douleur

Selon M. Roy, la position de l’Ordre entre en contradiction avec la loi adoptée en 2015 par Québec définissant l’animal comme un «être doué de sensibilité et qui a des besoins essentiels de base » et non plus comme « un bien meuble».

 

«Lorsqu’on se dévoue à la protection et au bien-être animal, cette décision [d’abandonner le dégriffage] devrait s’imposer d’elle-même.», estime-t-il.

 

D’autant plus que les études démontrent que les chats éprouvent une douleur aiguë après la chirurgie, certains développant même des douleurs chroniques, explique Sophie Gaillard, avocate de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) de Montréal.

 

«Ça altère leur démarche puisqu’ils doivent mettre leur poids différemment sur leurs pattes, ce qui entraîne des problèmes physiques.» Ils deviennent aussi plus agressifs ou craintifs.

 

«On parle quand même de l’amputation d’une phalange. Mais beaucoup de propriétaires ne le réalisent pas.», se désole-t-elle, estimant que les spécialistes devraient mieux informer les clients des conséquences de l’opération et leur proposer d’autres solutions.

 

De son côté, la présidente de l’OMVQ assure que «d’autres méthodes sont déjà recommandées par les vétérinaires avant le degriffage.» et qu’ils sont nombreux à carrément refuser l’opération.

 

D’après Mme Kilsdonk, «si la population n’est pas prête maintenant, ça ne veut pas dire qu’elle ne le sera jamais», laissant la porte ouverte à un revirement de situation. Elle rappelle qu’il y a trentaine d’années, les propriétaires faisaient retirer les griffes des quatre pattes de leur chat, alors qu’ils se contentent désormais de celles des pattes avant ou tirent même un trait sur la pratique.

 

De l’espoir

Sophie Gaillard garde bon espoir de voir la province emboîter le pas à la Nouvelle-Écosse.

Cette première interdiction promet « un vent de changement » à travers le pays, assure-t-elle, rappelant que même l’Association canadienne des médecins vétérinaires avait déjà révisé en mars dernier sa position vis-à-vis du dégriffage des chats — qui datait de 2011 — pour s’y opposer clairement.

 

«Ça va pousser les autres provinces à réaliser qu’il n’y a pas de futur pour ce genre de chirurgie chez les animaux de compagnie. Ça va suivre la tendance d’interdire les chirurgies esthétiques comme couper les oreilles ou les queues.», dit-elle.